17

Un homme guettait dans le bosquet de lilas de l’autre côté de la route et un autre était tapi dans l’ombre du mur de la cour.

Sutton approcha lentement, comme en se promenant, prenant son temps.

— Johnny, dit-il silencieusement.

— Oui, Ash.

— Aucun autre ? Juste ces deux-là ?

— Je crois qu’il y en a encore un autre mais je ne peux pas le situer. Ils sont tous armés.

Sutton perçut une impulsion rassurante dans son esprit, un sentiment de confiance en soi, et aussi d’aide et de solidarité.

— Tiens-moi au courant, Johnny.

Il sifflota une ou deux mesures d’un air oublié depuis longtemps, mais qui restait encore présent dans sa mémoire après vingt ans.

Le garage de voitures en location était deux blocs de maisons derrière lui, l’hôtel Aux Armes d’Orion, deux blocs de maisons plus loin sur la route. Entre lui et l’hôtel, deux hommes armés l’attendaient. Deux et peut-être plus.

Entre le garage et l’hôtel, il n’y avait rien que le paysage sophistiqué d’une Terre résidentielle, administrative. Une Terre dédiée à la beauté et à la tâche de gouverner… cultivée avec le même soin qu’un jardin, chaque mètre carré dessiné par des architectes paysagistes, avec des bouquets d’arbustes, des allées d’arbres et des parterres de fleurs amoureusement entretenus.

Un endroit idéal, se dit Sutton, pour un guet-apens.

Adams ? se demanda-t-il. Bien que ce pût difficilement être Adams. Il savait quelque chose qu’Adams espérait découvrir, et tuer l’homme qui détient les renseignements qu’on désire, si irrité soit-on contre lui, est tout à fait puéril.

Ou ceux dont Eva avait parlé… ceux par qui Benton avait été conditionné, prêt à le tuer.

Ils étaient plus vraisemblables qu’Adams, parce que celui-ci voulait qu’il reste en vie, alors que ceux-là, quels qu’ils fussent, seraient très satisfaits de le supprimer.

Il mit la main dans la poche de sa veste comme s’il cherchait une cigarette et ses doigts touchèrent l’acier de l’arme qu’il avait utilisée contre Benton. Il les laissa se serrer autour d’elle puis il les retira, sortit la main de sa poche et trouva les cigarettes dans une autre.

Ce n’est pas encore le moment, se dit-il. Il serait temps plus tard de se servir de l’arme s’il avait à l’utiliser, s’il avait une chance de l’utiliser.

Il s’arrêta pour allumer une cigarette, avec des gestes lents, prenant son temps, gagnant du temps.

Le pistolet ne vaudrait pas grand-chose, il le savait, mais c’était mieux que rien. Dans l’obscurité, il n’aurait pas réussi à atteindre la façade d’une maison, mais il ferait du bruit, et les hommes qui guettaient ne s’attendaient sûrement pas à du bruit. Si le bruit leur avait été indifférent, ils auraient pu sortir depuis un bon moment et le mitrailler. À mort.

— Ash, dit Johnny, il y en a un troisième. Dans le buisson qui est un peu plus loin. Il a l’intention de te laisser passer et ainsi, ils te tiendront sous le feu de trois côtés.

— Bon, grogna Sutton, donne-moi des détails.

— Les arbustes aux fleurs blanches. Ils sont à la lisière. Très près de l’allée, de façon à pouvoir tourner autour et se trouver derrière au moment où tu passeras.

Sutton tira sur sa cigarette, ce qui la fit luire comme un œil rouge dans la nuit.

— On s’en occupe, Johnny ?

— Oui, on ferait mieux…

Sutton reprit son allure de promeneur et distingua bientôt les arbustes à quatre pas de lui, tout au plus.

Un pas.

Je me demande ce que tout cela signifie.

Deux pas.

Arrête de te poser des questions. Agis, tu te les poseras après.

Trois pas.

Il est là. Je le vois.

Sutton s’élança de l’allée d’une seule enjambée. Le pistolet sortit de sa poche et, à l’enjambée suivante, cracha deux fois, très vite.

L’homme, caché derrière les buissons, se plia en avant, chancela puis s’effondra à plat ventre. Son arme lui tomba des doigts, et d’un geste rapide, Sutton la ramassa. C’était, il la reconnut, une arme terrible, capable de tuer même en ratant presque son but, grâce au champ de distorsion qu’engendrait son faisceau électronique. Une arme qui était nouvelle et secrète, vingt ans plus tôt, mais que maintenant, apparemment, n’importe qui pouvait se procurer.

Le pistolet à la main, Sutton fit demi-tour et courut, zigzaguant à travers les plates-bandes, baissant la tête sous les branches basses, piétinant un parterre de tulipes. Du coin de l’œil, il vit un éclair. Le jet de flamme silencieux d’un pistolet et la trajectoire étincelante qu’il traça dans la nuit.

Il se lança à travers un buisson épineux, franchit un ruisseau, se trouva dans un bosquet de conifères et de bouleaux. Il s’arrêta pour reprendre son souffle, jeta un regard en arrière vers l’endroit d’où il était venu.

Tout était calme et paisible, un paysage argenté dessiné par la lune. Rien ni personne ne bougeait. Le pistolet avait cessé depuis longtemps de tirer.

Soudain, la voix de Johnny l’avertit.

— Ash ! Derrière toi. Ami…

Sutton se retourna, l’arme à demi levée.

Herkimer courait dans le clair de lune, comme un chien sur une piste.

— Monsieur Sutton, monsieur…

— Oui, Herkimer.

— Faut que nous filions…

— Oui, fit Sutton, je crois. Je suis tombé dans un piège. Ils étaient trois à me guetter.

— Pire que cela, dit Herkimer, ce ne sont pas seulement les Révisionnistes et Morgan, mais Adams aussi.

— Adams ?

— Adams a donné l’ordre de vous abattre à vue.

Sutton sursauta.

— Comment le savez-vous ? cria-t-il brutalement.

— La jeune fille, Eva. Celle dont vous me parliez. Elle me l’a dit.

L’androïde avança, fit face à Sutton.

— Vous devez avoir confiance en moi, monsieur. Vous avez dit ce matin que je raconterais tout sur vous, mais je ne le ferai jamais. J’ai été de votre côté dès le début.

— Mais la jeune fille ? dit Sutton.

— Eva est de votre côté, elle aussi, monsieur. Nous nous sommes mis à votre recherche, dès que nous avons su, mais nous n’avons pas pu vous rattraper à temps. Eva attend dans l’astronef.

— Un astronef, dit Sutton. Un astronef et quoi encore ?

— C’est votre propre astronef, monsieur, dit Herkimer. Celui que vous avez hérité de Benton. L’astronef et moi.

— Et vous voulez que je vous suive et que je monte dans cet astronef et…

— Pardonnez-moi, monsieur, dit Herkimer.

Il agit si vite que Sutton ne put rien faire.

Il vit le poing arriver et tenta de lever son pistolet. Une fureur froide grandit soudain en lui, puis il y eut un choc énorme et sa tête fut rejetée en arrière, et pendant un instant, avant que ses paupières ne se ferment, il vit une ronde d’étoiles dans un firmament tournoyant.

Il sentit ses genoux fléchir sous lui et son corps s’effondra. Mais il était déjà complètement inconscient quand il toucha le sol.

Dans le torrent des siècles
titlepage.xhtml
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_042.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_043.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_044.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_045.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_046.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_047.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_048.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_049.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_050.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_051.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_052.html
Simak,Clifford D - Dans le torrent des siecles(1951).French.ebook.AlexandriZ_split_053.html